Id :

Mot de passe :

1626, le gant & l'Epée

Bonus

  « L'assassinat de Concino Concini »  —  Auteur : finipe

Nous sommes en 1617. Depuis l'assassinat d'Henri IV par Ravaillac en 1610, c'est son fils aîné Louis XIII qui est officiellement roi : mais ce dernier n'avait que 9 ans à la mort de son père, et c'est la reine mère, Marie de Médicis, qui assume la régence du royaume. Cette femme peu intelligente, impérieuse et au physique ingrat, exerce son autorité de façon arbitraire et délaisse le jeune roi en le considérant comme partie négligeable. Mais par-dessus tout, elle a fait de deux petits nobles italiens ses favoris : il s'agit de Concino Concini, maréchal d'Ancre, et Leonora Dori, sa femme, aussi appelée Leonora Galigaï, également soeur de lait de la reine mère.

Concini est fat, prétentieux, arrogant, détesté d'une grande partie de la Cour et du peuple français pour son attitude en général et son immense fortune en particulier, amassée sur le dos de l'Etat, avec l'assentiment de la reine mère. Elevé à la distinction de maréchal de France en 1613 sans aucun mérite martial, l'homme est de surcroît d'une ambition démesurée, et il jouit d'une grande influence politique : gouverneur de plusieurs villes du nord du royaume, surintendant de la maison de la reine, premier gentilhomme de la chambre, Concini se permet surtout d'invraisemblables familiarités envers le jeune roi Louis XIII, imitant ainsi sans vergogne le peu de cas que fait Marie de Médicis de son propre fils aîné, qui lui préfère ostensiblement son fils cadet, Gaston, le futur Gaston d'Orléans.

Ainsi, Louis XIII est un jour reconduit à la porte du Conseil par sa mère, humilié publiquement en ces termes : « Mon fils, allez vous ébattre ailleurs ! ». Un autre jour, Concini déclare au roi : « Sire, Votre Majesté me permettra bien de me couvrir ? ». Puis, sans attendre la permission de Louis XIII, il remet son chapeau. Leonora Galigaï se plaint que le roi la dérange en faisant trop de bruit dans sa chambre. Concini se fait appeler Monseigneur, siège au Conseil sans aucun droit, et se permet même de s'asseoir dans le fauteuil du roi !

Ulcéré par ces brimades et ces humiliations répétées, le jeune roi est devenu peu à peu taciturne, renfermé. A ses côtés pourtant, de nombreux fidèles se plaignent avec véhémence de l'intolérable et dispendieux pouvoir que détient le maréchal d'Ancre (sa fortune s'élève alors à plus de huit millions de livres, c'est-à-dire près de la moitié du budget annuel du royaume...) : parmi ces gens, on trouve notamment le duc de Luynes, fauconnier royal du jeune Louis XIII, lui-même passionné par la chasse.

Le 15 avril 1617, Louis XIII reçoit une lettre anonyme, que l'on attribue généralement à Sully, l'ancien et digne ministre d'Henri IV, renvoyé par Marie de Médicis. Après une critique violente de la conduite des époux Concini, la lettre poursuit en ces termes :

[...] Cet homme et cette femme, ainsi faits et conditionnés, ont tellement abaissé les uns, corrompu les autres, par l'entière disposition qu'ils ont de toutes les charges et trésors de France, emprisonné, banni, affoibli et intimidé le reste, qu'il ne leur manque plus, pour se voir en réelle possession de la royauté, que le titre et le nom d'icelle ; à quoi ils sont aspirants par degrés, puisque l'espérance non plus que l'apparence ne leur dénie point absolument le succès, croyant voir quelque raison qu'il y avoit bien plus loin de la condition la plus vile, honteuse et abjecte qui se puisse imaginer en laquelle leur naissance les avoit soumis, au degré d'extrême hautesse où ils sont maintenant constitués, qu'il n'y a d'icelui à obtenir le nom du roi, sinon pour eux au moins pour tel qu'il leur plaira.

Autour du roi et de son confident, Luynes, quelques gentilshommes se réunissent et les palabres vont bon train : le jeune Louis hésite, ne sait que faire pour se débarrasser de cet intrigant et de sa femme. Peut-on risquer un coup de force ? Un tribunal pourrait-il réellement être réuni pour juger pareils personnages ? C'est finalement Guichard Déageant, un fonctionnaire royal ami de Luynes, qui risque le premier l'hypothèse criminelle : « Et s'il résiste ? », demande le roi ; et Guichard de répondre, catégorique « Le tuer ! ».

Louis XIII refuse, scrupuleux et tremblant. Luynes appuie cette proposition en récitant la litanie des humiliations, mais le jeune roi se mure dans un silence perplexe. Ces quelques gentilshommes vont trouver un lieutenant, Monsieur de Mesmes, qui accepte d'arrêter Concini, mais pas de l'occire. Finalement, c'est Nicolas de l'Hospital, le baron de Vitry et capitaine des gardes du corps de sa Majesté, qui accepte de se charger de l'assassinat, mais à la seule condition d'en recevoir l'ordre de la bouche même du roi. On l'introduit auprès de ce dernier, et à la question « Sire, si le maréchal se défend, que veut Sa Majesté que je fasse ? », Déageant répond à la place du monarque indécis : « Le roi entend qu'on le tue. ».

A l'énoncé de cette sentence univoque, Louis XIII se contente de baisser les yeux sans mot dire, et Vitry s'incline : « Sire, j'exécuterai vos commandements. ».

Après l'accord silencieux du roi à l'hypothèse du meurtre de Concino Concini, l'on convient d'arrêter l'intrigant italien le 23 avril, une semaine après que Louis XIII eût reçu la lettre anonyme. Une première tentative échoue, l'on manque le passage de Concini, et le roi a bien spécifié que rien ne devait être entrepris près des appartements de la reine mère. Le lendemain, Concini doit être reçu au Louvre par Louis XIII, et les conjurés décident d'agir dès l'entrée du palais, avant le pont-levis, entre la grande porte de Bourbon et la porte de la vieille enceinte datant de Philippe Auguste.

Concini est entouré par une escorte conséquente, il lit une lettre : le baron de Vitry et ses alliés laissent le groupe passer sans apercevoir Concini, tant il est densément protégé... Il s'exclame : « Où est monsieur le maréchal ? ». Et on lui répond : « Le voilà qui lit une lettre... ». Vitry rattrape Concini, lui prend fermement le bras et déclare : « Monsieur, le roi m'a commandé de me saisir de vous ! ».

Le maréchal d'Ancre fait un pas en arrière, porte la main à la garde de son épée, et crie en italien « A me ! » : aussitôt, cinq conjurés lèvent leurs pistolets, et cinq coups de feu claquent dans la cour du palais. Concini s'écroule, défiguré par les projectiles qu'il a reçu à la joue, la gorge, entre les yeux... « Tue ! Tue ! », s'écrie-t-on tandis que la grande porte de Bourbon est refermée. Les gardes restent médusés, pendant que les tueurs lardent de coups d'épée le corps méconnaissable du maréchal d'Ancre. Vitry dit aux gardes que ce meurtre est de l'autorité du roi, et ces derniers rentrent leurs armes aux fourreaux, puis assurent le roi de leur fidélité.


Assassinat de Concini, dans la cour du Louvre.
En haut à droite de la gravure, on peut voir le jeune Louis XIII
au balcon de son cabinet, félicitant les meurtriers

Louis XIII exulte, il ouvre la fenêtre de son cabinet et s'écrie « Grand merci à vous, à cette heure, je suis roi ! Aux armes ! Aux armes, compagnons ! ». La reine mère quant à elle, a entendu les coups de feu, et a rapidement appris la mort de son protégé. Elle se résigne immédiatement, et quand on lui demande si elle veut apprendre elle-même la mort de Concini à Leonora Galigaï, elle répond : « J'ai bien d'autres choses à penser. Si on ne veut pas lui dire la nouvelle, qu'on la lui chante ! ». Lorsque Leonora eut appris la mort de son époux, elle demande audience auprès de Marie de Médicis, sa confidente, sa soeur de lait ; mais cette dernière rétorque « J'ai assez à faire moi-même, qu'on ne me parle plus de ces gens-là. Je leur avais bien dit qu'il y avait longtemps qu'ils dussent être en Italie. ». Belles preuves d'amitié en vérité !

Après tout cela, un vent de folie souffle sur Paris, la rumeur de la mort du détesté maréchal se répand comme une traînée de poudre. Le corps encore chaud de Concini avait été inhumé sous une dalle dans l'église de Saint Germain l'Auxerrois, enveloppé dans une toile grossière : aux cris de « Vive le roi ! », des parisiens en liesse entrent dans l'église, exhument le cadavre, et le traînent dans les rues boueuses de la cité. La frénésie s'empare du peuple, qui s'acharne sur le corps : lapidé, roué de coups, suspendu par les pieds à une potence, puis enfin dépecé, et ses restes dispersés et brûlés !


Le cadavre de Concini, inhumé au pied des grandes orgues de Saint-Germain l'Auxerrois, est exhumé par des fanatiques, puis traîné dans les rues de Paris. On distingue les parisiens criant "Coyon", le surnom qu'ils avaient de longue date attribué à Concini, à savoir Coglione, "couillon" en italien...


Le corps mutilé est ensuite pendu par les pieds à l'une des potences que Concini avait lui-même fait ériger, puis à nouveau battu, outragé... Ses restes sont finalement brûlés, et jetés aux quatre vents.

Tandis que le roi reçoit un défilé ininterrompu de courtisans venus le féliciter, Leonora Galigaï est arrêtée, ses bijoux et argent sont saisis, et elle est embastillée le jour même. Cette femme capricieuse et cupide est atteinte d'épilepsie, un mal qu'on ne sait circonvenir : elle pratique l'exorcisme, le désenvoûtement, et c'est à ce titre qu'un procès pour sorcellerie lui est intenté. En outre, ce chef d'accusation présente l'avantage de ne pas risquer d'impliquer la reine mère. Pendant le procès, Leonora se défend intelligemment, mais les dés sont jetés : une sentence de mort est proclamée.

On lui lie les mains, on la juche sur une charrette qui traverse Paris jusqu'au lieu de supplice, sous les huées, les injures et les crachats de la foule. Tous les témoins s'accordent à dire cependant qu'elle fait preuve de piété, de courage et d'une grande dignité. On la dispose sur l'échafaud, elle déclare qu'elle pardonne à tous, puis l'épée du bourreau lui tranche la tête d'un seul coup. Enfin, l'on jette son corps décapité dans le feu...

Ainsi débute le véritable règne de Louis XIII, et la valse hésitation de ses premières années de pouvoir, aux prises avec la vindicte de sa propre mère, qui tentera jusqu'à la "journée des Dupes" en 1630 de ravir le pouvoir aux mains de son fils.

[Retour à la liste]

Zuper Oineuguène Bioutifoule Saïte by finipe ©
[Haut de page]