II. Les élites du royaume
1. L'esprit gentilhomme, la noblesse
Les liens qui unissent ou opposent un noble à un autre sont quasiment contractuels : ils engagent toujours la responsabilité de l'un envers l'autre. Ainsi, toute action exécutée au service d'un tiers rend celui-ci redevable : il est alors « l'obligé » de quelqu'un et doit, sur son honneur, répondre d'un service équivalent.
Pour la noblesse de ce début de XVIIème siècle, il importe de vivre sous l'autorité d'un seigneur de premier rang ou d'un prince de sang. Cependant, si la réciprocité des liens entre nobles de rang équivalent s'apparente à un réseau d'amitiés, les services contractés entre un inférieur et un supérieur sont plutôt de l'ordre de la possession, voire de la servitude. On parle alors non plus d'ami, mais de « serviteur », de « créature » ou de « satellite ».
Ainsi, à la Cour de France, plusieurs princes agissent comme des patrons, et les groupes formés à partir de l'intérêt des Grands du royaume servent des objectifs politiques.
2. L'honneur & les duels
L'honneur est la vertu majeure de la noblesse : la parole d'honneur est le gage le plus sûr qu'un gentilhomme puisse offrir, et s'il y déroge, il est assurément indigne. Les défauts d'honneur entre gentilshommes se règlent régulièrement en duels, ce qui a tendance à décimer le royaume de sa noblesse. Pourtant, de nombreux édits interdisent cette pratique, en 1602, 1609, 1623 et 1626, mais interdisant d'une main, Louis XIII lui-même semble de l'autre approuver et affectionner ces démonstrations baroques de valeur et de bravoure.
Certains se sont fait champions de cette pratique, comme par exemple le célèbre comte de Montmorency-Bouteville, qui, à 28 ans, a à son actif 22 duels, souvent meurtriers. Le dernier en date remonte au 1
er mars 1626, jour même de la promulgation du nouvel édit contre les duels.
Les duels sont fréquemment pratiqués dans des endroits clos et désert, et certains lieux sont à cet égard devenus mythiques : citons notamment les Carmes Deschaux, le faubourg Saint-Honoré, ou encore l'abbaye de Saint-Germain.
Il est d'usage d'être accompagné d'un « second » ou « témoin » lors d'un duel. Les témoins pourront alors s'assurer qu'aucune faute d'honneur n'est commise lors du combat, ou bien tout bonnement s'affronter l'un et l'autre pour accompagner les deux duellistes d'origine. L'on demande souvent à un ami très cher d'être son second, et il est insultant de refuser pareil honneur.
3. Niveau de vie des grands de ce monde
La noblesse vit souvent bien au-delà de ses moyens : aussi n'est-il pas rare qu'un grand personnage soit criblé de dettes qu'il a pu contracter auprès d'usuriers divers, en particulier les juifs, qui, même s'ils sont fort mal considérés, sont indispensables au maintien de ce train de vie fastueux qu'affectionnent les barons, comtes et princes de tous rangs.
Le commerce étant une activité indigne d'un noble, qui est prédestiné à la guerre, il n'existe donc pas beaucoup de solutions pour parvenir à garder un niveau de vie digne de son rang : les pensions et les rentes offertes par le roi ou certaines charges sont donc les moyens de subsistance les plus souvent mis à profit.
La distinction personnelle permet également de gagner quelques subsides : un acte d'éclat ou de bravoure vaut bien souvent une récompense en monnaie sonnante et trébuchante de la part d'un prince ou d'un capitaine de régiment.
Enfin, il n'est pas rare non plus de voir un gentilhomme trouver une maîtresse mariée à un homme fort riche, qui entretient son amant à grands renforts de billets doux. Les maris trompés, s'ils s'en rendent compte, réclameront d'ailleurs un duel pour laver cet affront fait à leur honneur.
Dans les « Trois mousquetaires » de Dumas, l'on constate qu'avec 40 pistoles, d'Artagnan et ses trois amis parviennent à vivre selon leurs goûts durant un mois. L'on peut donc estimer à 100 livres par mois la somme nécessaire au maintien d'un train de vie fastueux, qui sied au rang d'un gentilhomme. Rappelons donc qu'une solde de mousquetaire est de 25 livres par mois, soit quatre fois moins que la somme requise...
4. Laquais, servantes, lingères & soubrettes
Un gentilhomme digne de ce nom a souvent à son service un laquais. Toujours selon Dumas, le laquais de d'Artagnan, Planchet, reçoit 30 sous par jour, soit 45 livres par mois, ceci constituant semble-t-il des honoraires plus que généreux. Une fois cette bonne fortune passée, le pauvre Planchet reçoit une correction de son maître, ainsi qu'une promesse de réussite, et s'en tient dit.
Ainsi, le laquais (ou valet) est un serviteur bon à tout faire, en particulier les tâches ingrates et donc indignes d'un gentilhomme. Il nettoie les vêtements, dort en travers des portes, ne mange que les reliefs des repas de son maître, s'occupe des chevaux.
Pour autant, il n'est pas forcément maltraité ni malheureux : bien des laquais étant issus de milieux misérables, ils peuvent ainsi vivre d'une façon décente, et pour peu qu'ils soient au service d'un maître honnête et aimable, ils seront considérés, et parfois même écoutés. Ainsi que le dit le proverbe : « tel maître, tel valet » !
On trouve également dans les maisons de noblesse réputée quantité de servantes, lingères et soubrettes, tous ces domestiques qui assurent le bon fonctionnement de la demeure.
5. Les titres de noblesse & leur hiérarchie
Contrairement à ce qui est souvent affirmé, il n'existe aucune hiérarchie des titres de noblesse en France. L'on voit souvent l'ordre suivant : chevalier, vicomte, comte/vidame, marquis, duc, et enfin prince. C'est donc faux ; le titre de « prince » en particulier désigne souvent le fils aîné des maisons ducales, et n'est donc qu'un titre de courtoisie.
La seule véritable hiérarchie qui soit se fait entre les titres de duc (la « noblesse titrée ») et le reste de l'aristocratie : les plus importants sont les « ducs et pairs », puis viennent les simples « ducs », et enfin les « ducs à brevet », dont le titre n'est pas transmissible à la descendance.
Voici donc la hiérarchie réelle de l'aristocratie :
Notons au passage qu'en France, la lignée est évaluée en degrés (ascendants mâles) et non en quartiers (ascendants mâles et femelles), comme c'est le cas par exemple pour la noblesse germanique.
Ce n'est donc généralement pas le titre qui compte, mais le nom de famille. Les critères permettant d'évaluer la réelle importance d'une famille sont généralement :

Noblesse d'épée / Noblesse de robe

Illustration et hauts faits de la famille

Ancienneté : noblesse « immémoriale » (antérieure à 1400) ou non

Puissance et richesse

Alliances et relations

Faveur du roi, présence à la Cour
D'une façon générale, plus la noblesse est importante (cumul de l'illustration et de l'ancienneté) et plus l'on peut se permettre de faire des alliances basses sans que cela ne prête à rire, dans la petite aristocratie, voire la roture.